La féminisation de l’emploi semble être une vraie problématique pour de nombreuses entreprises, notamment dans les emplois techniques. Johan Titren, directeur Égalité des chances chez The Adecco Group, revient pour vous sur le sujet. Selon lui, si certains secteurs restent pénuriques, des leviers peuvent être actionnés pour favoriser l’égalité hommes / femmes.
La féminisation progresse sur le marché de l’emploi. Certains secteurs sont-ils particulièrement concernés ?
Je dirais plutôt qu’aucun secteur ne peut se permettre de faire l’économie d’une réflexion sur la mixité. Au contraire, tout le monde est concerné !
Il est évident que l’on voit plus de femmes arriver dans des domaines dont elles étaient « exclues », soit parce que les métiers étaient considérés comme « d’hommes », soit parce que les recruteurs avaient pour réflexe de n’engager que peu de femmes.
De nombreuses entreprises s’engagent dans des politiques de mixité. Comment l’expliquez-vous ?
Les femmes représentent 48 % de la population active, soit près d’une personne sur deux. Or les études montrent que 50 % des femmes se concentrent sur 12 secteurs professionnels.
Pour les entreprises, réduire les disparités et avancer vers plus de mixité professionnelle est donc un véritable enjeu. D’une part, pour des questions de performance : se passer de collaborateurs efficaces pour des questions de genre est une ineptie. D’autre part, pour des questions de compétences : en se privant de 50 % des compétences disponibles sur le marché du travail, une entreprise se pénalise et offre à ses concurrents un avantage potentiel !
Il s’agit aussi d’une question dans l’air du temps…
Oui, il y a une véritable incitation – légitime – des pouvoirs publics à promouvoir la mixité et l’égalité femmes / hommes en milieu professionnel. C’est un accélérateur d’autant plus important que la mixité en entreprise doit être pensée horizontalement – avec des femmes et des hommes dans toutes les catégories de métiers –, mais aussi verticalement – avec autant de femmes que d’hommes aux postes d’encadrement et de direction.
Malgré cette tendance, les profils féminins restent pénuriques pour certains postes. Comment y remédier ?
Malheureusement, c’est logique et mathématique. Si 50 % des femmes se concentrent dans 12 familles de métiers, cela signifie qu’il en manque beaucoup ailleurs. D’où cette pénurie, qui ne devrait pas en être une. Pour améliorer la situation, je pense qu’il y a plusieurs réflexions à mener : sur l’éducation, le système scolaire, les représentations que l’on se fait de tel ou tel métier (des hommes qui ne se voient pas assistant maternel, des femmes qui ne s’imaginent pas sur des chaînes de production…), l’accès aux métiers considérés comme masculins pour des femmes, l’autocensure consciente ou inconsciente qui fait qu’un candidat ou une candidate n’osera pas s’engager dans telle ou telle filière professionnelle…
Justement, les RH ont sans doute un rôle important à jouer ?
Oui, il existe des méthodes plus inclusives, moins discriminantes. Privilégier une synthèse de candidature plutôt qu’un CV « classique » est une première solution : elle permet de gommer le genre pour se concentrer sur les compétences et les expériences des candidats et candidates. Mais il faut oser aller plus loin et s’interroger sur l’étape de l’entretien.
Pourquoi ne pas proposer des mises en situation lorsque l’on rencontre les candidats ? Cela permet au recruteur de se rendre compte de ce qu’un(e) candidat(e) peut apporter ou non à une entreprise et de la confronter à ses réalités, à ses enjeux, indépendamment du genre. Ainsi, il peut prendre conscience qu’il se serait trompé de candidat idéal s’il s’en était tenu à ses idées reçues. Dans un autre registre, les job dating permettent de donner les mêmes chances à toutes les candidatures via des rencontres ancrées dans le réel.
Comment faire évoluer le regard des jeunes sur les métiers techniques ?
Cela commence par l’orientation : il faut communiquer, expliquer aux jeunes qu’il n’y a plus de métiers réservés aux hommes et de métiers réservés aux femmes. D’ailleurs, il faut l’expliquer aux jeunes, mais aussi aux personnes en reconversion professionnelle et potentiellement à tous les salariés qui peuvent être amenés, un jour ou l’autre, à changer de métier / d’entreprise, à suivre une nouvelle formation… C’est un travail à envisager sur le long terme. Il ne faut pas oublier que si l’on change le regard de la jeunesse, il faut également changer le regard des plus « anciens » : des actions de sensibilisation en direction des professionnels en poste doivent être mises en place.
Finalement, comment adapter le sourcing des candidats pour une plus grande mixité ? Que peuvent faire les entreprises pour recevoir plus de candidatures féminines sur des métiers pénuriques ?
Tout d’abord, il est important de faire connaître son engagement, de montrer que l’on est une entreprise qui ne fait pas de distinction entre femmes et hommes. On peut l’indiquer dans son offre d’emploi, le mentionner pour motiver à candidater, se rapprocher de réseaux d’associations, des acteurs publics et privés de l’emploi qui pourraient relayer… Il est aussi possible de créer la compétence recherchée : par exemple, admettons qu’une entreprise recherche des conductrices d’engin de chantier et qu’elle manque de candidates. Pourquoi ne pas identifier des personnes qui ont le potentiel et leur proposer une formation appropriée pour qu’elles acquièrent la compétence par l’apprentissage ? Quand la solution n’existe pas, on peut l’inventer !
Vous peinez à recruter des profils féminins pour répondre à vos besoins tout en favorisant la mixité ? Chaque problème a sa solution : pour vous diriger vers la féminisation de l’emploi, n’hésitez pas à vous faire accompagner !
Merci à Johan Titren pour les chiffres fournis et son expertise sur le sujet.